Comment la technologie du freinage à courants de Foucault nous libère de la friction

6 mars 2019

De nos jours, le besoin de voyager augmente, et avec lui, les alternatives de transport qui sont plus écologiques, moins bruyantes et, bien sûr, plus rapides. Mais ce qui se déplace doit finir par s’arrêter, et si la plupart des avions, des trains et des automobiles utilisent le freinage mécanique, ce type de freinage peut s’endommager et devenir dangereux à grande vitesse. Ce n’est pas le cas du freinage par courants de Foucault. Nous étudions ici le potentiel de ce type de freinage sans friction et le phénomène à l’origine de cet effet.

Ralentir en toute sécurité avec les freins à courants de Foucault

Si le train A part de Boston en direction de New York City à 8h en se déplaçant à 50 km/h, et que le train B part de New York City en direction de Boston à 8h30 avec une vitesse de 80 km/h, à quelle heure les deux trains se rencontreront-ils, sachant que les deux villes sont distantes d’environ 320 km ?

Utiliser deux trains, des notions de distance, vitesse et des horaires dans un problème scolaire de mathématiques est tellement classique que c’en est devenu un trope télévisuel. Les auteurs de manuels scolaires (et les scénaristes télé) pourraient toutefois actualiser quelques détails avec l’émergence de nouveaux développements en matière de transports. Les trains à grande vitesse commerciaux, par exemple, se déplacent souvent à une vitesse moyenne de 300 km/h, réduisant considérablement le temps de trajet. Les futurs problèmes de maths avec des trains devraient donc prendre en compte des vitesses bien plus importantes et utiliser des villes plus distantes.

Une photo du train à sustentation magnétique de Shanghai.
Le train à sustentation magnétique de Shanghai, le train électrique à grande vitesse le plus rapide du monde. Image par Andreas Krebs — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 2.0, via Flickr Creative Commons.

On ne pouvait pas aborder ces questions pratiques sans s’intéresser aux technologies de freinage sans frottement. Si un train traditionnel devait se déplacer à 300 km/h en utilisant des freins mécaniques, ceux-ci pourraient ne pas arrêter le train à temps – ou ne pas l’arrêter du tout. Plus un train se déplace rapidement, plus des freins à friction doivent travailler pour dissiper l’énergie cinétique, ce qui signifie qu’ils risquent d’autant plus une usure complète. Pour éviter cela, de nombreux trains utilisent des freins dynamiques qui réduisent l’usure, mais les composants s’appuyant sur la friction risquent toujours d’être défaillants.

Lorsque le véhicule en a les moyens, le freinage régénératif est privilégié. Ce type de freinage sans friction s’appuie sur un moteur (linéaire) ou un générateur qui convertit l’énergie cinétique en énergie électrique, qui pourra par la suite être réutilisée pour l’accélération. L’utilisation du freinage à courants de Foucault est moins efficace énergétiquement (mais toujours meilleur que le freinage mécanique). Avec le freinage à courants de Foucault, l’ensemble de l’énergie électrique produite est directement convertie en chaleur. Cette conversion énergétique se faisant sans contact mécanique, ces systèmes ont tendance à être plus robustes que des systèmes de freins basés sur la friction. Un autre avantage de ces systèmes est qu’ils fonctionneront toujours, même si mécaniquement il n’y a pas de contact entre le véhicule et la voie. C’est le cas par exemple pour les véhicules à sustentation magnétique (maglev) comme celui de Shanghai et le train de la Japan Railway qui a atteint la vitesse record de 603 km/h.

Systèmes de freinage à courants de Foucault dans le monde réel

Comment les systèmes de freinage à courants de Foucault fonctionnent-ils dans le monde réel ? Un design développé et testé par une compagnie de chemins de fer allemande utilise un réseau linéaire de huit électroaimants installés entre les roues, à une distance d’environ 7mm des rails. Les opérateurs ferroviaires peuvent activer ces aimants lorsqu’ils veulent ralentir, ce qui permet aux aimants de générer un champ magnétique qui s’étend jusqu’au rail. Le rail étant statique, il va subir une concentration de champ magnétique qui se déplace à haute vitesse, et de forts courants induits vont se développer. Ces courants induits résultent de la résistance du rail à la variation forcée de flux magnétique: ils circulent dans une direction qui fait que le rail va produire son propre champ magnétique, qui tente de neutraliser (repousser) celui qui est appliqué. Les deux champs magnétiques se repoussent l’un l’autre, produisant une force de freinage – ce qui signifie que le train finira par s’arrêter sans friction.

Ce type de freinage sans friction présente plusieurs avantages: il est finement contrôlable, relativement peu coûteux et exempt de pollution et de bruit. L’inconvénient dans son utilisation est que les pièces électromagnétiques peuvent parfois interférer avec les équipements de signalisation ferroviaire. Une autre limitation est liée au fait qu’une vitesse finie est requise (il ne pourra pas fonctionner comme frein de stationnement par exemple). Et si beaucoup de trains freinent rapidement à la suite dans une même zone, la chaleur dissipée dans les rails peut les dilater, causant potentiellement des problèmes mécaniques. Ceci dit, les freins à courants de Foucault peuvent apporter beaucoup aux moyens de transport à grande vitesse. Ci-dessous sont présentés des exemples de freins linéaires et à disque utilisés dans les trains à grande vitesse.

Une photo de train à grande vitesse utilisant des freins à courants de Foucault.
Une photo en vue rapprochée d'un disque de frein à courants de Foucault.

Frein à courants de Foucault linéaire dans un train à grande vitesse allemand (gauche). Image par Sebastian Terfloth — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons. Vue rapprochée d’un frein à courants de Foucault utilisé dans un train à grande vitesse japonais (droite). Image par Take-y — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.

Freins à courants de Foucault linéaires ou à disque

Deux types de freins à courants de Foucault sont généralement utilisés: linéaires et à disque. Les freins linéaires sont les mêmes que ceux que l’on trouve sur un train ou une montagne russe, où la piste fait partie du système de freinage. Dans une montagne russe, les aimants sont situés au bout de la piste et des bandes métalliques sont montées sur les côtés des véhicules. Lorsque ceux-ci atteignent les aimants, les freins commencent à fonctionner car les aimants induisent des courants dans le métal. Pour plus de sécurité, les montagnes russes utilisent généralement des aimants permanents afin que les freins puissent fonctionner même en cas de coupure de courant.

Une photo des freins sur une piste de montagne russe.
Freins à courants de Foucault sur la piste d’une montagne russe. Image de Stefan Scheer — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.

Les freins à disque ont également un composant qui reste statique tandis que l’autre bouge. Dans une version, l’aimant est statique tandis qu’un disque métallique tourne, et dans l’autre version, l’électroaimant bouge – des bobines sont placées sur une roue qui tourne autour d’un axe fixe. Parmi les cas d’utilisation, les freins à courants de Foucault à disque sont pratiques lorsque l’on travaille avec une machine industrielle, tout particulièrement pour l’arrêt d’urgence. Si vous voulez arrêter une machine dans une usine ou un outil électrique du type scie circulaire, vous pouvez activer les électroaimants de façon à produire des courants induits et amener la roue métallique à un arrêt en douceur.

Regardons de plus près le phénomène physique derrière les courants de Foucault ainsi que deux exemples de simulation qui illustrent les freins linéaires et à disque.

Qu’est-ce que les courants induits?

Les courants induits sont des boucles de courants électriques induites dans des conducteurs par des champs magnétiques variables. Les courants résultent de la la loi de Faraday sur l’induction.

Historique des courants de Foucault

Les courants de Foucault ont été observés pour la première fois au XIXe siècle par le Premier Ministre français François Arago. En anglais, le terme eddy current est utilisé du fait de leur ressemblance avec les tourbillons (eddies) que l’on peut observer dans les rivières, mais les spirales de courants induits sont généralement observées dans des feuillets ou des disques métalliques. Le scientifique Michael Faraday fut en mesure d’expliquer en détail les observations d’Arago et formula la loi de Faraday sur l’induction. Peu après, Emil Lenz énonça la loi de Lenz.

Un portrait d'Emil Lenz.
Heinrich Friedrich Emil Lenz. Image dans le domaine public aux Etats-Unis, via Wikimedia Commons.

Après la loi de Faraday sur l’induction, qui se concentre sur la force électromotrice qui met en mouvement les courants de Foucault, la loi de Lenz donne la direction des courants. Lenz réalisa qu’un courant induit se déplacera toujours dans une direction permettant au courant de s’opposer aux variations qui l’ont induit. Les courants induits ont donc tendance à provoquer des pertes énergétiques (ou, comme c’est le cas dans les systèmes de freinage, à convertir l’énergie cinétique en chaleur). Bien que les courants induits soient indésirables pour la plupart des applications, ils sont parfait pour des utilisations telles que le freinage.

En 1855, le physicien français Léon Foucault fit une découverte sur les courants induits en lien avec le freinage: pour faire tourner un disque de cuivre, la force nécessaire augmente lorsque le disque est en rotation et ses faces positionnées entre les pôles d’un aimant. Lorsque c’est le cas, les courants induits dans le métal chauffent le disque en rotation.

En 1879, David E. Hughes fit la démonstration de l’une des premières utilisations des courants induits: le triage métallurgique. Dès lors, les courants induits furent utilisés pour identifier et trier les pièces dans les distributeurs automatiques et pour aider les détecteurs de métaux à capter des objets métalliques.

Simulation de courants de Foucault dans COMSOL Multiphysics®: modèles de freins linéaires et freins à disque

Modélisation d’un frein linéaire à l’aide d’un appareil de démonstration de la loi de Lenz

Vous vous souvenez peut-être d’une expérience physique utilisant des courants induits pour démontrer deux lois de l’électromagnétisme:

  1. loi de Faraday sur l’induction
  2. loi de Lenz

Si vous ne vous en rappelez pas, ou si vous n’avez jamais vu cette expérience, n’ayez crainte: nous allons en faire une rapide démonstration. Regardons d’abord les courants induits pour comprendre comment fonctionne cette expérience. On peut voir les courants induits en action avec le tutoriel d’appareil de démonstration de la loi de Lenz, dans lequel un aimant cylindrique tombe dans un tube métallique (dans ce cas, du cuivre).

Un modèle et une photo d'un tube en cuivre contenant un aimant, appelé appareil de démonstration de la loi de Lenz.
Schéma (gauche) et photo (droite) d’un appareil de démonstration de la loi de Lenz.

Comme évoqué dans les exemples de pistes linéaires, les courants de Foucault sont générés de façon similaire dans les parois du tube, et le champ magnétique opposé crée une force de freinage qui ralentit le mouvement de l’aimant. Au fur et à mesure que la vitesse de l’aimant augmente, la force opposée augmente aussi. Par conséquent, l’aimant finira par atteindre une vitesse terminale pour laquelle la force de freinage magnétique sera égale à la gravité.

Vous pouvez constater ces effets par vous-même en utilisant un appareil de démonstration de la loi de Lenz pour calculer la vitesse et l’accélération de l’aimant en chute libre lorsqu’il atteint sa vitesse terminale.

Une simulation 3D d'un appareil de démonstration de la loi de Lenz.
Une simulation 3D d’un aimant en chute libre dans un tube de cuivre.

Modélisation d’un frein à disque

Maintenant que nous avons vu comment les courants induits agissent dans un frein linéaire, intéressons-nous à leur fonctionnement dans un frein à disque. Ce modèle est composé d’un disque en rotation et d’un aimant permanent. Comme Foucault l’a découvert, les propriétés conductrices du disque génèrent des courants induits lorsque celui-ci est en rotation à l’intérieur du champ magnétique de l’aimant permanent. Ainsi, le disque ralentit du fait des forces liées à ces courants.

Une simulation de freinage à courants de Foucault.
Simulation 3D d’un frein à courants de Foucault.

Le temps total nécessaire pour mettre un système à l’arrêt (que ce soit une voiture, un train, une montagne russe) dépend de la force des aimants (les forces qu’ils exercent sur le disque) et de la capacité du disque à évacuer l’énergie. Pour explorer ce processus, vous pouvez simuler les freins à courants de Foucault avec des outils qui vous permettant de coupler une équation dynamique (définissant la rotation du disque) à la méthode des éléments finis (définissant le couple). Sur les images ci-dessous, vous pouvez par exemple observer la densité de courant à la surface du disque à t = 0 lorsque le disque est toujours en rotation (gauche) ainsi que l’évolution dans le temps de différents facteurs de freinage.

Un modèle EM de l'amplitude et de la direction des courants induits.
Un graphique 1D de l'évolution temporelle du couple dans un système de freinage à courants de Foucault

Modèle 3D sur lequel l’amplitude et la direction des courants induits à t=0 sont affichés (gauche). Evolution temporelle du couple dans le système de freinage à courants de Foucault (droite).

En utilisant un logiciel de simulation électromagnétique, vous pouvez analyser la densité des courants induits et l’évolution temporelle de la vitesse angulaire, du couple de freinage et de la puissance dissipée.

Autres cas d’utilisation des freins à courants de Foucault

Bien que l’utilisation des systèmes de freinage à courants de Foucault ne soit pas encore répandue, leur faible coût et leur fiabilité les rend utiles pour des:

  • Ascenseurs
  • Appareils de forage industriels
  • Manèges de parcs d’attractions comme les montagnes russes et les tours de chute libre
  • Résistance des machines d’entraînement

Le freinage régénératif étant généralement privilégié dans les systèmes équipés de grands moteurs électriques linéaires ou rotatifs (comme ceux des trains maglev et des voitures électriques), les freins à courants de Foucault offrent une alternative fiable aux freins mécaniques ou pour les systèmes d’urgence.

Si vous voulez vous lancer dans l’amélioration du freinage à courants de Foucault pour des designs plus souples, plus rapides, ou si vous souhaitez simplement investiguer le phénomène des courants induits en calculant la vitesse et l’accélération d’un aimant en chute libre dans un appareil de démonstration de la loi de Lenz, vous pouvez utiliser le logiciel COMSOL®. Qui sait, vous serez peut être à l’origine d’un nouveau problème de math sur les trains plus adapté au XXIe siècle.

Etapes suivantes

Découvrez comment un logiciel de simulation électromagnétique peut vous aider à comprendre, prédire et optimiser les performances de dispositifs statiques et basse fréquence:


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