
La spectroscopie d’impédance électrochimique (EIS) est couramment utilisée pour étudier les systèmes électrochimiques. Elle permet de mettre en évidence des processus électrochimiques clés tels que le transfert de charge, le transport de masse et les effets de surface. Cet article de blog montre comment modéliser des comportements non idéaux comme l’adsorption, les limites de diffusion et la rugosité de la surface dans le logiciel COMSOL Multiphysics® — en allant au-delà des circuits équivalents traditionnels. Vous apprendrez également comment mettre en oeuvre l’élément à phase constante (CPE) local lorsque le mécanisme sous-jacent n’est pas évident.
Applications pratiques de la spectroscopie d’impédance électrochimique
De nombreux systèmes électrochimiques font intervenir plusieurs processus qui se superposent, ce qui peut rendre difficile l’identification des facteurs affectant les performances. En appliquant un petit signal sinusoïdal à un système électrochimique et en mesurant sa réponse sur une plage de fréquences, l’EIS permet d’accéder aux processus complexes de transfert de charge, de transport de masse et d’effets de double couche, des phénomènes clés qui déterminent les performances du système. Grâce à sa grande sensibilité aux petites variations de courant, l’EIS peut détecter des variations mineures qui pourraient autrement passer inaperçues.
Les avantages sont évidents si l’on considère les systèmes électrochimiques du monde réel:
- Les batteries : De l’électronique grand public aux véhicules électriques, l’EIS peut être utilisée pour analyser le transport ionique et électronique à l’intérieur de la cellule, en identifiant la dégradation potentielle et la perte de capacité.
- La corrosion : Les premiers signes de corrosion dans les pipelines, les structures marines et les armatures en béton peuvent être détectés par l’EIS grâce au suivi des changements aux interfaces métal-électrolyte au fil du temps.
- Les piles à combustible : Les couches catalytiques, les membranes et les écoulements de réactifs peuvent être caractérisés à l’aide de l’EIS, ce qui permet d’améliorer les performances et la durée de vie des piles à combustible.
- Les capteurs : Les interactions entre les électrodes et les molécules cibles peuvent être évaluées par EIS, ce qui permet des applications telles que le contrôle du glucose par la détection des changements de concentration dans les fluides biologiques.
Des exemples de systèmes électrochimiques utilisant l’EIS sont présentés dans le diaporama ci-dessous.
Au-delà des méthodes de circuits équivalents
Pour un système soumis à une simple réaction électrochimique, si l’on ne tient pas compte des effets de transfert de masse, le circuit équivalent associé peut consister en une résistance en série avec une combinaison parallèle d’une résistance et d’un condensateur. Dans un diagramme de Nyquist, il est représenté par un demi-cercle dont le diamètre correspond à l’amplitude de la résistance de transfert de charge.
Modèle de circuit équivalent d’une résistance en série avec une paire RC.
Diagramme de Nyquist pour un modèle de circuit équivalent.
Les circuits équivalents traditionnels sont utilisés depuis longtemps pour modéliser des systèmes électrochimiques simples et ajuster les résultats aux données expérimentales. Cependant, cela ne permet pas de décrire les processus physiques couplés sous-jacents. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur des éléments de circuits équivalents passifs, une approche basée sur la physique peut être utilisée pour modéliser les processus sous-jacents afin d’obtenir une représentation réaliste des systèmes électrochimiques. Dans COMSOL Multiphysics®, on y parvient en résolvant les équations fondamentales qui régissent les phénomènes électrochimiques.
En introduisant le transport de masse, le transfert de charge et les cinétiques de réaction dans les simulations, l’interaction complexe des comportements non idéaux affectant la réponse d’impédance peut être prise en compte. Par exemple, les limites de diffusion peuvent être modélisées à l’aide d’équations de transport de masse, tandis que les comportements d’adsorption–désorption peuvent être saisis au moyen d’expressions cinétiques. De plus, la rugosité de la surface de l’électrode peut être incorporée dans le modèle en définissant la géométrie détaillée de la surface de l’électrode. Ces approches combinées fournissent une représentation réaliste des comportements électrochimiques complexes.
Ces non-idéalités seront examinées plus en détail dans la section suivante.
Réactions de transfert de charge avec absorption et désorption
De nombreuses réactions électrochimiques impliquent des espèces intermédiaires ou des ions qui s’adsorbent à la surface de l’électrode. L’adsorption introduit un autre aspect dynamique à l’interface électrode–électrolyte car la couverture de surface des espèces adsorbées peut varier avec le potentiel et le temps, ajoutant des constantes de temps supplémentaires au système. Les effets de l’adsorption peuvent être saisis en incorporant des expressions cinétiques dans le modèle électrochimique. Ainsi, dans l’exemple de modèle de dépôt de cuivre dans un via traversant, deux espèces adsorbées — le chlorure (Cl⁻) et un additif suppresseur polyéther (P) — sont modélisées à l’aide de la fonctionnalité Espèces adsorbantes-désorbantes définie dans la condition limite Surface de l’électrode.
Ces espèces peuvent s’adsorber ou se désorber au cours de réactions faradiques ou non faradiques. Au-delà de l’analyse transitoire initialement réalisée, les réponses d’impédance sont simulées à l’aide d’une étude séparée de perturbation en domaine fréquentiel à deux instants séparés (t = 0 min et t = 2 min). Initialement, la couverture de surface des espèces adsorbées (P) est faible, mais à t = 2 min, la couverture augmente de manière significative et devient non uniforme. La présence et la distribution des espèces adsorbées influencent de manière significative la réponse d’impédance, modifiant les spectres d’impédance d’un comportement présentant initialement deux boucles capacitives à faible couverture de surface pour obtenir une réponse comportant une boucle inductive prononcée à basse fréquence lorsque la couverture est plus élevée. La réponse d’impédance peut également varier lorsque les systèmes ont des espèces adsorbées, ce qui dépend des conditions de fonctionnement du système et de la couverture de surface (réf. 1).
Couverture de surface pour les espèces adsorbées sur la surface d’une électrode à deux instants différents (t = 0 min et t = 2 min).
Diagramme de Nyquist d’une cellule électrochimique à deux instants différents (t = 0 min et t = 2 min).
Impact du transport de masse
Le transport de masse dans les systèmes électrochimiques peut être modélisé en résolvant les équations fondamentales. Par exemple, dans les piles à combustible, le transport des gaz (par exemple, l’hydrogène et l’oxygène) implique à la fois la diffusion et la convection, influencées par les propriétés des couches catalytiques poreuses et des couches de diffusion des gaz (GDL). Ces phénomènes de transport affectent directement la réponse d’impédance. Dans le tutoriel Species Transport in the Gas Diffusion Layers of a PEM, le transport d’espèces est modélisé dans les GDL d’une pile à combustible à membrane échangeuse de protons (PEM) en couplant la conservation de la charge, les équations de diffusion de Maxwell–Stefan pour les réactifs, l’eau et l’azote, et la loi de Darcy pour les écoulements de gaz. Dans la courbe de polarisation résultante (illustrée dans la figure ci-dessous), à mesure que la tension de la cellule se déplace vers des valeurs plus cathodiques, la densité de courant augmente initialement jusqu’à atteindre un seuil en raison des limitations liées au transport de masse.
En plus de l’exemple original, une étude EIS est réalisée pour mieux distinguer les contributions de la cinétique de réaction et du transport de masse à des tensions de fonctionnement de 0.4 V, 0 V et -0.4 V. À une tension de cellule de 0.4 V, le diagramme de Nyquist montre deux boucles distinctes : la boucle à haute fréquence correspond principalement aux réactions de transfert de charge, tandis que la boucle à basse fréquence est liée aux processus de diffusion des gaz dans la GDL. À un potentiel plus cathodique de 0 V, la jonction des boucles d’impédance indique que les constantes de temps de la cinétique des réactions et de la diffusion se confondent. À un potentiel encore plus bas de -0.4 V, l’impédance est dominée par la diffusion, ce qui donne lieu à une seule grande boucle lorsque le système s’approche des limites liées au transport de masse, bien que la résistance au transfert de charge devienne beaucoup plus faible.
Courbe de polarisation d’une pile à combustible PEM.
Diagrammes de Nyquist de la pile à combustible PEM à des potentiels de fonctionnement de 0.4 V, 0 V et -0.4 V.
Effets de la rugosité de la surface de l’électrode
La rugosité de la surface introduit une autre non-idéalité dans les systèmes électrochimiques qui peut affecter la réponse d’impédance. Les variations dans les structures de surface des électrodes, telles que les irrégularités, la porosité et d’autres inhomogénéités, peuvent affecter la distribution locale du courant. Dans COMSOL Multiphysics®, la rugosité de la surface peut être explicitement incorporée par des modifications de la géométrie.
Dans la figure ci-dessous, deux surfaces d’électrodes différentes sont modélisées :
- une électrode rugueuse représentée par un flocon de Koch
- une électrode lisse et plane
Géométrie d’une cellule présentant différentes formes de surface d’électrode : un flocon de Koch et une surface plane.
La réponse d’impédance peut être analysée en utilisant la distribution du courant secondaire sans tenir compte du transport de masse. Les réponses d’impédance adimensionnées, présentées sous forme de diagrammes de Nyquist, montrent des comportements distincts pour les deux configurations de surface. Un demi-cercle est observé pour la surface de l’électrode plane, tandis qu’une dispersion à haute fréquence est observée pour l’électrode rugueuse. Cette dispersion peut être attribuée à l’impédance ohmique complexe dépendant de la fréquence (réf. 2). Un tel comportement d’impédance peut être observé au-dessus d’une fréquence caractéristique qui dépend de la forme et de la taille de la rugosité de l’électrode, de la géométrie de l’électrode et de la conductivité de l’électrolyte.
Diagramme de Nyquist pour deux surfaces d’électrodes, en flocon de Koch et plate.
Élément à phase constante
Bien que la modélisation basée sur la physique permette de comprendre de nombreuses non-idéalités, telles que les réactions de transfert de charge avec adsorption et désorption, les effets de transport de masse et la rugosité de la surface de l’électrode, il existe des scénarios dans lesquels le comportement observé de l’impédance ne peut pas être entièrement expliqué par ces mécanismes connus. Dans certains cas, un élément à phase constante (CPE) est généralement utilisé pour améliorer l’adéquation des modèles aux données d’impédance. Contrairement à un condensateur idéal, qui a un angle de phase de -90 degrés, un CPE a un angle de phase qui peut varier entre 0 et -90 degrés, en fonction des caractéristiques du système électrochimique.
Symbole électrique de l’élément à phase constante (CPE).
Mathématiquement, l’impédance d’un CPE peut être définie de la façon suivante:
où Q et α sont des paramètres du CPE, i est le nombre imaginaire, ω est la fréquence angulaire, et α est un paramètre compris entre 0 (une résistance) et 1 (un condensateur idéal).
Utilisation d’éléments à phase constante locaux dans les réactions d’électrodes
Dans COMSOL Multiphysics®, il est possible d’intégrer un comportement de CPE local dans les modèles par le biais de divers paramètres physiques liés à l’électrochimie. Une approche courante consiste à appliquer les CPE via des conditions aux limites sous Electrode poreuse ou Surface de l’électrode, permettant de définir une capacité qui représente les effets d’interface.
Le tutoriel Lithium-Ion Battery Impedance étudie l’impédance d’une cellule complète de batterie lithium-ion. La fonctionnalité Capacité de la double couche de la matrice poreuse est utilisée pour définir la densité de courant de la double couche non-faradique à l’interface entre la matrice poreuse de l’électrode et l’électrolyte. Dans le cas de la modélisation d’une capacité pure, une valeur constante est normalement attribuée, allant de 0.2 F/m² à 0.5 F/m² pour la capacitance électrique de double couche.
Le courant capacitif (de charge) peut s’écrire de la façon suivante:
où (\phi_{\mathrm{s}} – \phi_{\mathrm{l}} – \Delta \phi_{\mathrm{s,film}}) est la différence de potentiel appliquée aux réactions électrochimiques, tenant compte de l’effet de la chute de potentiel due à la présence d’un film, et C_{\mathrm{dl}} est la capacité électrique de la double couche.
Modélisation de l’élément à phase constante sous un noeud Electrode poreuse .
Au lieu d’utiliser une valeur constante pour la capacité pure, l’expression décrivant la capacité de la double couche électrique doit être modifiée pour inclure l’effet de CPE local.
C_{\mathrm{dl} pourrait être écrit comme suit:
ce qui donne l’expression suivante pour le courant capacitif:
Diagramme de Nyquist avec différentes valeurs du paramètre alpha.
Dans la figure ci-dessus, les diagrammes de Nyquist montrent l’impédance pour différentes valeurs d’alpha (1, 0.8 et 0.5), avec la partie réelle de l’impédance sur l’axe des abscisses et la partie imaginaire précédée d’un signe négatif sur l’axe des ordonnées. Les diagrammes présentent un arc de cercle caractéristique suivi d’une queue, représentant les processus de transfert de charge et de diffusion. À mesure qu’alpha diminue, le demi-cercle se réduit et se déplace vers le bas.
Bien que l’origine exacte du comportement de type CPE sur les électrodes métalliques ne soit pas encore établie, les paramètres CPE sont généralement utilisés pour extraire la capacité en supposant soit une distribution des constantes de temps sur la surface de l’électrode, soit la présence d’un film. Les valeurs d’alpha dépendent généralement des caractéristiques du système telles que la présence d’un film, les inhomogénéités de surface et les effets de transfert de masse dans les électrodes poreuses (réf. 3). L’électrosorption-diffusion des anions a également été suggérée comme un autre mécanisme potentiel (réf. 4).
Le CPE peut également être modélisé par des circuits équivalents dans COMSOL Multiphysics®, comprenant des composants tels que des résistances, des condensateurs et des inductances. Un Couple résistance-condensateur est ajouté, où la résistance R est fixée à une valeur choisie (par exemple, 1 Ω), et la capacité C suit la formulation CPE. Cette méthode permet au circuit d’approcher un comportement électrochimique non idéal en ajustant les paramètres du CPE.
Modéliser des éléments à phase constante dans un circuit électrique.
Pour s’assurer que le modèle soit représentatif des données expérimentales d’impédance, il est possible dans COMSOL Multiphysics® de faire appel à l’estimation de paramètres. Les paramètres CPE, tel que Q and α, peuvent être utilisés comme variables de contrôles et optimisés de manière automatique pour reproduire au mieux les résultats mesurés expérimentalement. L’estimation de paramètres, disponible avec tous les modules complémentaires d’électrochimie, ajuste le modèle en minimisant l’écart entre les résultats simulés et expérimentaux. Le tutoriel Modeling Impedance in the Lithium-Ion Battery montre comment l’étape d’étude Estimation de paramètres peut être utilisée pour ajuster systématiquement et efficacement les paramètres du modèle. En affinant de manière itérative ces derniers, la simulation reproduit finement les observations expérimentales.
Non-idéalités en EIS
Ce billet de blog a exploré l’utilisation de COMSOL Multiphysics® pour modéliser les non-idéalités en spectroscopie d’impédance électrochimique (EIS). En simulant explicitement des phénomènes tels que la cinétique d’adsorption-désorption, les limitations liées au transport de masse et la rugosité de la surface de l’électrode, la modélisation basée sur la physique offre des perspectives allant au delà des approches traditionnelles basées sur les circuits équivalents.
De plus, lorsque les comportements d’impédance ne peuvent être entièrement expliqués par des mécanismes connus, l’intégration d’un élément de phase constante local permet de représenter ces effets résiduels. Ces capacités de modélisation offrent aux chercheurs un outil pour caractériser et mieux comprendre les systèmes électrochimiques dans divers cas d’usage, tels que les batteries, la protection contre la corrosion, les piles à combustible et les capteurs.
Références
- V. Vivier and M. E. Orazem, “Impedance Analysis of Electrochemical Systems,” Chemical Reviews, vol. 122, issue 12, article 11131–11168, 2022.
- C. You. et al., “Experimental observation of ohmic impedance,” Electrochimica Acta, vol. 413, 2022.
- S. Wang et al., “Electrochemical impedance spectroscopy,” Nature Reviews Methods Primers, vol. 1, article 41, 2021. Doi: 10.1038/s43586-021-00039-w
- A. Lasia, “The Origin of the Constant Phase Element,” J. Phys. Chem. Lett., vol. 13, issue 2, pp. 580–589, 2022.
Commentaires (0)