
La sténose de l’artère pulmonaire (SAP) est une pathologie dans laquelle le rétrécissement de l’artère pulmonaire augmente la pression et met le cœur à rude épreuve. En plus des méthodes d’imagerie traditionnelles telles que le scanner (CT-scan) et l’IRM, les simulations numériques peuvent fournir des indications précieuses sur la dynamique de l’écoulement sanguin. Dans cet article de blog, nous allons vous montrer comment l’écoulement sanguin à travers une sténose d’artère pulmonaire peut être modélisé en traitant la sténose comme un milieu poreux. Cette approche peut aider les chercheurs à mieux comprendre comment le rétrécissement de l’artère peut influencer l’écoulement sanguin. À terme, cela pourrait également aider les médecins à évaluer la sévérité d’une sténose et à décider si un examen approfondi ou un traitement sont nécessaires.
Sténose et caractéristiques de l’écoulement sanguin
Les techniques d’imagerie médicale telles que l’échographie, le scanner et l’IRM, fournissent des indications précieuses et spécifiques aux patients sur la sténose de l’artère pulmonaire, en visualisant la structure anatomique. Elles peuvent également mesurer des caractéristiques de l’écoulement sanguin telles que la vitesse et la direction de l’écoulement, par exemple, en utilisant l’effet Doppler en échographie. Les simulations numériques apportent un complément d’information à ces méthodes en fournissant un visuel détaillé de la pression dynamique, de la vitesse, et des contraintes sur l’ensemble du vaisseau. En combinant ces deux méthodes, les cliniciens et les chercheurs disposent d’informations plus approfondies qui permettent d’améliorer le diagnostic et les plans de traitement.
La sténose est un rétrécissement d’un vaisseau sanguin qui restreint l’écoulement sanguin, souvent causé par l’accumulation d’un dépôt. Ce rétrécissement engendre de la turbulence et mène à une pression plus importante. Pour mieux comprendre ces effets, les chercheurs en hémodynamique utilisent des modèles mathématiques pour décrire la forme de la sténose et analyser comment sa géométrie, sa localisation et les propriétés du sang influencent l’écoulement et la pression.
Écoulement dans une artère idéale avec (de gauche à droite) une sténose légère en forme de cloche, une section saine, et une sténose asymétrique sévère. Les lignes de courant montrent la turbulence causée par le rétrécissement, tandis que la couleur indique le niveau de pression — montrant une augmentation significative de la pression en présence d’une sténose.
Le sang est un fluide non-newtonien, ce qui signifie que sa viscosité varie avec les conditions de l’écoulement. Ce comportement est influencé par le taux de cisaillement et le nombre de globules rouges (hématocrite). Différents modèles décrivent ce comportement :
- Modèle de Carreau — couramment utilisé pour l’écoulement sanguin dans les artères, capturant les effets rhéofluidifiants où la viscosité décroît avec l’augmentation du taux de cisaillement
- Modèle de Casson — utile pour les cas avec faible cisaillement, comme les écoulements capillaires, dans lesquels les globules rouges ont tendance à s’accumuler (rouleaux), ce qui augmente la viscosité
- Modèle de Herschel-Bulkley — prend en compte la limite élastique, pertinente dans des conditions avec un fort taux d’hématocrite pour lesquelles le sang résiste à l’écoulement jusqu’au dépassement d’un certain seuil
Pour les gros vaisseaux comme l’artère pulmonaire, le modèle de Carreau est adapté. Il donne un bon équilibre entre réalisme et simplicité, notamment parce que les effets de la limite élastique sont mineurs. Ceci est dû aux taux de cisaillement relativement hauts et aux grands diamètres de ces vaisseaux, dans lesquels le sang a un comportement plus proche de celui d’un fluide newtonien.
Modéliser la zone de sténose comme un milieu poreux
Notre modèle d’artère pulmonaire ne s’appuie pas sur les données d’un patient mais a été créé manuellement (étant donné que nous n’avons pas accès à des scanners ou d’autres imageries médicales). Cependant, le processus de simulation est globalement le même : si des données de scanner étaient disponibles, elles auraient été traitées dans un logiciel spécialisé et exportées sous forme de maillage surfacique au format STL, qui peut ensuite être importé dans le logiciel COMSOL Multiphysics® pour la simulation 3D.
Après avoir importé le maillage surfacique dans le logiciel sous forme de pièce de maillage, nous pouvons créer le domaine poreux — la sténose — en introduisant une nouvelle surface au sein du maillage, ce qui nous permet de contrôler la taille et la localisation de la sténose. Une fois celle-ci définie, nous pouvons générer le domaine de simulation, appliquer un maillage tétraédrique, et ajouter des couches limites le long des parois de l’artère pour s’assurer que le maillage est adapté à des simulations d’écoulement sanguin.
Maillage surfacique importé (gauche), surface introduite (milieu), et maillage prêt pour l’analyse CFD (droite).
Pour décrire la sténose comme un milieu poreux, la porosité et la perméabilité sont les paramètres clés. La porosité représente la fraction d’espace vide dans la zone de la sténose, et la perméabilité quantifie la capacité du sang à s’écouler à travers la région rétrécie. De plus faibles valeurs de porosité et de perméabilité indiquent une sténose plus sévère, conduisant à des pertes de charge plus importantes et à une résistance à l’écoulement accrue. Dans un article de blog précédent, nous avons étudié comment l’écoulement non newtonien dans les milieux poreux est modélisé à l’échelle du pore pour en dériver une méthode de taux de cisaillement apparent. Nous nous appuyons ici sur cette idée et appliquons la méthode de taux de cisaillement apparent pour modéliser la région sténosée. Cela nous permet de ne pas résoudre la géométrie exacte du rétrécissement tout en capturant ses effets sur l’écoulement sanguin, ce qui facilite la modification de la taille, de la sévérité, et de la localisation de la région sténosée dans le modèle géométrique.
Modéliser le sang comme un fluide de Carreau
Nous utilisons le modèle de Carreau pour décrire la viscosité apparente du sang, tenant compte du comportement rhéofluidifiant sous certaines conditions d’écoulement :
Ce modèle définit la viscosité à des taux de cisaillement nul \mu_0 et infini \mu_\textrm{inf}, ainsi que le temps de relaxation \lambda et l’indice de puissance n. Dans la zone d’écoulement en milieu libre, le taux de cisaillement est \dot\gamma, tandis que dans la zone sténosée il est remplacé par le taux de cisaillement apparent \dot\gamma_\textrm{app}, qui prend en compte les effets de la structure poreuse sur la viscosité du sang. La formulation exacte de \dot\gamma_\textrm{app} dépend du milieu poreux et doit être déterminée à partir de mesures ou de simulations à l’échelle du pore en utilisant, par exemple, des modèles mathématiques comme dans la première section et en suivant la procédure discutée dans l’article de blog précédent. Cependant, dans ce modèle, nous approximons \dot\gamma_\textrm{app} en utilisant le modèle de faisceaux capillaires, en supposant que la forme de la sténose ressemble à un capillaire, ce qui est raisonnable :
Le taux de cisaillement apparent dépend de la porosité, de la perméabilité et de l’amplitude du champ de vitesse |\mathbf{u}|. La constante C prend en compte les effets de la tortuosité, et n est l’indice de puissance du modèle de Carreau. Bien que ce soit une approximation simplifiée, cela nous permet d’analyser les effets hémodynamiques de la sténose et fournit des indications précieuses pour le diagnostic médical.
Mise en place du modèle
Le modèle s’inspire des travaux de Réf. 1. Pour simuler l’écoulement sanguin, nous appliquons en entrée une vitesse similaire, dépendant du temps, (v_in(t))
. La forme du pulse est définie à l’aide d’une fonction d’interpolation, qui à son tour est utilisée dans une fonction analytique afin de la rendre périodique. Sur les sorties, nous imposons une condition de pression constante.
Implémentation de la fonction pour la vitesse d’entrée. La fenêtre graphique montre la géométrie et les réglages appliqués. Le domaine en bleu correspond à la région sténosée.
À partir de notre modèle précédent, nous obtenons des valeurs approchées pour la porosité \epsilon_p=0.5 et pour la perméabilité\kappa=10^{-7} m^2. Ces valeurs représentent un rétrécissement significatif et correspondent également aux valeurs utilisées dans la Ref. 1.
Pour fournir un bon point de départ à l’étude temporelle, nous réalisons d’abord une étude stationnaire basée sur la vitesse d’entrée à l’instant initial. Cela fournit un profil d’écoulement initial réaliste, qui évolue ensuite grâce à la vitesse variant avec le temps montrée dans l’image ci-dessus. Pour cela, nous utilisons l’expression v_in(try_catch(t,0))
à l’entrée. L’argument try_catch(t,0)
assure que la fonction utilise l’instant courant durant l’étape temporelle, et l’instant initial pour l’étape stationnaire. Cette approche évite de devoir créer deux conditions d’entrées séparées — une pour l’étude stationnaire (v_in(0))
, où le temps n’est pas défini, et une autre pour la simulation transitoire (v_in(t))
.
Résultats
Une comparaison des simulations de l’écoulement sanguin avec et sans sténose révèle une augmentation significative de la pression à l’extrémité proximale de la sténose, comme attendu. Cette pression élevée peut conduire à des contraintes plus élevées sur les parois de l’artère, pouvant conduire à un endommagement vasculaire. En outre, la présence d’une sténose induit plus de turbulence en aval, ce qui augmente le risque de formation de caillots.
Écoulement dans une artère saine (gauche) et sténosée (droite), la couleur indiquant la pression et la localisation du maximum de pression.
Une mesure utile pour qualifier la sévérité de la sténose est le ratio quantitatif de pression pulmonaire (quantitative pulmonary pressure ratio, QPPR), défini comme le rapport de la pression maximale de l’extrémité distale et de l’extrémité proximale. Un QPPR plus faible indique une perte de charge plus élevée et donc une sténose plus sévère. Ce ratio aide à évaluer l’importance de l’effet du rétrécissement sur l’écoulement sanguin. Dans ce modèle, le QPPR est d’environ 0.8.
Pression maximale aux extrémités proximale et distale de la sténose sur un cycle de battement cardiaque.
Prochaine étape
Cet article de blog a montré comment l’écoulement sanguin dans une artère pulmonaire sténosée peut être modélisé efficacement en traitant le rétrécissement comme une zone poreuse. Combinée au modèle de Carreau et à la méthode du taux de cisaillement apparent, cette approche capture des effets importants tels que l’augmentation de la pression et les perturbations de l’écoulement. Les résultats montrent dans quelle mesure la sténose affecte de façon significative l’hémodynamique. Vous pouvez télécharger le modèle et les instructions pas à pas ici :
Référence
- He, Fan, Wang, Xinyu, Hua, Lu, Guo, Tingting, Non-Newtonian Effects of Blood Flow on Hemodynamics in Pulmonary Stenosis: Numerical Simulation, Applied Bionics and Biomechanics, 2023, 1434832, 7 pages, 2023. https://doi.org/10.1155/2023/1434832
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